La montée des urgences

Il est toujours possible de relativiser l’urgence climatique, l’urgence sanitaire, l’urgence sociale, l’urgence éducative si l’on peut s’en protéger, voire en profiter ! Nous ne sommes pas égaux vis-à-vis de ces états d’urgence. On peut même dire que si ces phénomènes peuvent être qualifiés d’urgents c’est qu’ils se doublent d’une urgence d’un autre ordre : l’urgence démocratique.

Tant que les pays sont tenus par des représentants des classes protégées, on assiste à une exaspération des inégalités face aux problèmes. Or, le seuil de tolérance à la souffrance ne se calcule pas comme les profits que l’on en tire. Il y a un effet de seuil. Lorsqu’il est franchi, la souffrance s’exprime par le corps et le comportement d’une façon soudainement plus radicale. Ce sont les codes sociaux qui lâchent car ils ne sont plus soutenus par des rapports équitables de la part des autres, ceux qui sont à l’abri de la souffrance.

Quel rapport avec la psychanalyse me direz-vous ?

Le fait de se poser la question est déjà un élément de réponse car, à certaines époques, le souci de la psychanalyse a porté explicitement sur le sort des classes populaires à commencer, du vivant de Freud, par les instituts créés à Vienne et à Berlin après la première guerre mondiale. Si l’on ne voit plus le rapport entre le souci clinique et le souci social c’est qu’il y a eu un divorce, pas au niveau individuel de la part des praticiens, ni même au niveau de leurs instituts, c’est au niveau des pratiques et des développements théoriques que cela n’apparaît plus comme un champ de recherche en soi.

Pourtant, il y a bel et bien des enseignements à tirer des observations que l’on peut mener sur les différences sociales tant au niveau des situations qu’au niveau des institutions. Depuis l’origine de la psychanalyse, il y a des constantes observables dont on doit tirer conséquences.

Par exemple, on peut observer que les services publics travaillent davantage en pluridisciplinarité que les consultations privées qui, au mieux, s’inscrivent dans des réseaux informels d’affinité, au pire laissent les patients errer dans le dédale des offres multiples. Ce constat de la pluridisciplinarité de l’offre destinée aux classes défavorisées n’est pas anecdotique, il signale que, lorsque le contexte social ne permet pas au sujet de se protéger de la souffrance, le trouble psychique prend des proportions telles que d’autres sphères de la vie du sujet se trouvent attaquées.

Effectivement, à partir d’une problématique névrotique banale, on peut arriver à une situation sociale, médicale et judiciaire aigue.

Il y a donc bien un travail à mener du côté des conditions de vie, non pas seulement par une description des manques et des dysfonctionnements mais par une étude des processus par lesquels un environnement social permet à un sujet d’échapper au seuil d’intolérance qui le fait basculer dans une pluralité de problèmes qui viennent s’ajouter aux troubles psychiques. De quels types de liens un sujet en souffrance a-t-il besoin ?

Pour mener un tel chantier, il faut se tourner vers d’autres observateurs que ceux qui reçoivent les sujets isolément, il faut s’informer auprès de tous les professionnels de proximité, à domicile ou dans les institutions, car ils perçoivent, in situ, la dynamique subjective au-delà de ce que le sujet lui-même peut en percevoir et vouloir en dire. Il faut s’informer et analyser leurs observations.

On découvrirait peut-être que, dans les milieux pauvres, des solutions utiles sont parfois trouvées et méritent d’être soutenues plus qu’ignorées ou combattues.